Le discours post-attentat est désormais tellement bien rodé qu’un ordinateur pourrait écrire les articles à la place des journalistes. Seuls les noms et les dates sont à changer.
Le récit se répète comme une ritournelle : l’islam n’y est pour rien, les terroristes sont une poignée de fous radicalisés sans lien avec l’islam ; ils lui font même un tort considérable ; d’ailleurs, les musulmans figurent aussi parmi les victimes, même si ce ne sont jamais les lieux ou les symboles musulmans qui sont visés. Et face à ces actes odieux, il faut certes prendre des mesures sécuritaires, y compris en détruisant les bases des terroristes à l’étranger, mais la meilleure réponse est surtout de ne rien changer, de continuer à vivre comme avant, de préserver nos valeurs et nos libertés, et surtout de rester unis en s’aimant les uns les autres car les pays européens n’ont pas d’ennemis.
Ce discours apaisant, centré sur la lutte contre le terrorisme, peut évidemment se justifier par la volonté d’éviter les violences intercommunautaires. Cette crainte a pu sembler d’autant plus sérieuse que, d’après Gilles Kepel, les violences interreligieuses sont justement supposées faire partie du plan des théoriciens de l’Etat islamique.
Toutefois, cette grille de lecture est-elle la bonne ? Pire : ne conduit-elle pas à faire fausse route ? Le scénario noir des affrontements communautaires ne s’est pas réalisé. La répétition la régularité des attaques sanglantes permettent maintenant d’avoir un peu de recul. La démonstration a été faite : dans aucun pays, les Européens ne sont descendus dans la rue pour s’en prendre aux musulmans. C’est même tout le contraire. En France, les actes islamophobes ont baissé et l’image des musulmans s’est plutôt améliorée. Et chaque nouvel attentat renforce un peu plus les appels à l’amour, rejetant encore plus loin tout débat sur les causes des problèmes, et sur l’islam en général. Que ce soit par crainte d’un basculement dans la guerre civile, ou par empathie envers une population musulmane qui est vue sous l’angle de la seule victimation, les pouvoirs publics s’attachent prioritairement à écarter tout débat de fond pour se cantonner éventuellement aux problèmes d’organisation institutionnelle, ce qui paraît aussi dérisoire qu’inefficace. La critique de l’islam est découragée, voire sanctionnée, au moins moralement. Critiquer l’islam devient un sport de combat. A-t-on encore le droit de dire que l’on n’aime pas l’islam ? Ne pas être en admiration suffit à rendre suspect. Et ne parlons pas de la dénonciation de l’obscurantisme religieux, qui n’est manifestement plus d’actualité au pays de Descartes et de Voltaire.
Mais le problème ne s’arrête pas là. En partant du principe que l’islam ne pose aucun problème, voire que les musulmans sont eux-mêmes aux premières loges des victimes du terrorisme, une réponse coule de source : il faut faciliter son développement. C’est tout le paradoxe de notre temps : loin d’avoir provoqué un rejet de l’islam, le terrorisme favorise un processus d’accommodement et d’encouragement. Proposer un moratoire sur la construction de mosquées relèverait purement et simplement de l’hérésie, à l’heure où le discours institutionnel ne tarit pas d’éloges sur la civilisation islamique, à laquelle la civilisation européenne apparaît tellement redevable.
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