A Paris en 2035 : je suis retourné là-bas
♦ Cher Parrain,
Pour un Européen, titulaire d’un passeport impérial, venir à Paris est toujours une aventure.
C’est pourquoi, lorsque l’Académie m’a désigné, comme tu le sais, pour cette mission d’étude là-bas, j’étais à la fois fier et un peu inquiet aussi. Ce fut un séjour délicat mais instructif à plus d’un titre.
Malgré une invitation officielle de la République Islamique, j’ai dû supporter des formalités interminables à l’aéroport de Roissy : successivement la police des frontières, la douane et la police de la charia. On a fouillé mes valises deux fois ! J’étais prévenu, mais quand même.
Heureusement mon guide traducteur m’attendait : Leila, une jeune femme moderne puisqu’elle ne portait qu’une longue robe noire et un foulard. Elle était gentille mais j’avais parfois du mal à la comprendre car la langue a changé. Elle intègre beaucoup de mots et de tournures arabes ou algériennes et le débit très saccadé rend la compréhension pénible à nos oreilles.
Néanmoins mes interlocuteurs officiels au ministère de l’Education et de la Révélation, puisque ma visite s’inscrivait dans la perspective d’éventuels échanges avec notre Fédération impériale, ont mis un point d’honneur à essayer de parler un français correct durant nos entretiens. Du moins l’ont-ils pensé…
J’ai d‘ailleurs globalement été assez bien reçu, les seules manifestations d’hostilité émanant des Européens restés là-bas et convertis, bien reconnaissables à leurs longues barbes.
On m’a fait visiter pendant cette semaine de nombreux établissements d’enseignement et médersas, puisque le gouvernement de la République a fait un gros effort en la matière. Ces établissements m’ont cependant paru assez sous-équipés et leurs méthodes, basiques par rapport à ce que l’on trouve chez nous.
Au collège coranique de la Rue d’Ulm mes interlocuteurs ont beaucoup insisté sur le fait que l’enseignement était ouvert à tous, y compris aux non-musulmans, aux Noirs et aux femmes. Mais ils ne m’ont pas caché, cependant, que le corps enseignant était « croyant » – comme on dit là-bas– dans sa très grande majorité. J’ai compris que notre chauffeur n’était, lui, pas musulman, mais je n’ai pu parler avec lui car mon guide ne me quittait pas et, en sa présence, il se taisait. Dommage !
Malgré ces nombreux entretiens et visites, on m’avait quand même aménagé une après-midi de détente.
J’ai ainsi pu visiter Paris comme un vrai touriste saoudien ! Les magasins de luxe des Champs-Elysées, l’inévitable monument des martyrs de la Révolution, le Musée religieux de Notre-Dame, la grande mosquée du Louvre, la palmeraie du Trocadéro et, bien sûr, le dîner dans le meilleur restaurant de Paris : Les Mille et Une Nuits d’Argent. Malheureusement je ne supporte pas bien la nourriture du pays et surtout… de devoir manger sans couverts !
A propos de nourriture, d’après ce que j’ai pu voir dans mes déplacements, le spectre de la Grande Famine semble désormais oublié là-bas. Les commerces d’alimentation paraissent bien achalandés en semoule, olives et raisins secs et j’ai vu que les queues devant les boucheries restaient raisonnables. « La France va mieux », comme n’ont cessé de le répéter mes interlocuteurs. Sans doute pour s’en persuader eux-mêmes.
Evidemment j’aurais bien aimé revoir l’endroit où habitaient nos grands-parents, près de la Gare de Lyon. Mais mon programme chargé ne l’a pas permis. Finalement je ne le regrette pas car je crois que j’aurais été déçu. En dehors des quartiers touristiques, en effet, Paris est sale et pollué et les immeubles sont constellés d’antennes paraboliques du plus mauvais effet ! Je préfère donc conserver le souvenir de l’album de photographies familial !
En tout cas, et même si je dois maintenant m’atteler à mon rapport pour l’Académie, je me réjouis de m’en retourner chez nous, à Novossibirsk. Je crois bien que les cloches, la neige, le bon vin et les robes des filles me manquaient !
On ne remerciera jamais assez ceux qui nous ont permis d’échapper à ce qui est arrivé là-bas, et qui nous ont donné la possibilité de reconstruire (*) ici, en Sibérie, notre civilisation, au sein d’une Fédération impériale puissante et respectée. A l’abri de la Grande Barrière, qui nous protège du chaos migratoire qui ravage le monde.
Tu avais bien raison, Parrain, de dire que ceux qui parmi nous se font volontiers critiques de notre quotidien feraient bien d’aller passer quelques jours là-bas, pour se rafraîchir les idées.
C’est bien pourquoi, dès mon retour, j’irai allumer un cierge en l’honneur de Saint Serge, comme il est de tradition chez nous !
Je t’embrasse, Parrain.
Michel Geoffroy
7/01/2017
Source : polemia
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