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Le Temps: «Looking for Europe» est le titre de la pièce que vous produisez et dans laquelle vous allez jouer, du 5 mars au 20 mai, dans la plupart des grandes villes d’Europe. Un homme seul, sur scène, pour dire l’importance de l’Europe unie, face aux vents populistes et nationalistes qui soufflent sur le continent, ce n’est pas un combat perdu d’avance?
Bernard-Henri Lévy: La campagne pour les élections européennes est lancée. Et moi, je pars en croisade européenne. J’utilise le mot à dessein. Dans 20 villes emblématiques, dont Genève le 15 mars, je serai sur scène pour porter la parole de l’Europe unie, au contact de ceux qui veulent sa mort. J’irai chez Salvini en Italie, chez Orban en Hongrie, chez Kaczynski en Pologne… Voilà quelques jours que, dans ce pays, le maire de Gdansk a été assassiné. Je le connaissais depuis des années. C’est lui qui m’avait aussitôt convié à venir présenter le spectacle dans sa ville. Ce sera, maintenant, une soirée de deuil et de commémoration. Mais mon vœu le plus cher est de faire aussi du chagrin de cette mort une célébration de la cause européenne. Il faut refaire de l’Europe une idée romantique, une idée porteuse d’espoir. Donc je compte me battre, oui, sur scène et de toutes mes forces.
On vous a connu très interventionniste. Dans les Balkans au secours de la Bosnie, puis en Libye pour convaincre la France d’entrer en guerre contre le régime de Kadhafi. On sait que, depuis, les résultats de ces interventions ont été pour le moins mitigés. Aujourd’hui, il faut intervenir pour sauver l’Union européenne?
Il faut que les Européens de cœur arrêtent de se sentir seuls, isolés, démunis face à l’assaut des populismes et des nationalismes. L’idée de cette pièce m’est venue à Londres, en pleine tourmente du Brexit. Un groupe d’écrivains britanniques, et la Hexagon Society, m’avaient convié à interpréter mon autre pièce Last Exit before Brexit.
J’ai réalisé le sentiment d’impuissance qui les gagnait. J’ai compris qu’il nous fallait tous, à ce moment de notre vie, porter la parole européenne. Qui le fait? Qui réveille cette fierté européenne? Je suis fédéraliste par conviction mais aussi par réalisme. Car les solutions aux défis du monde de demain ne peuvent être trouvées qu’à l’échelle d’une Europe unie. Notre agora démocratique sera européenne ou ne sera plus.
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Dans populisme, il y a la référence au peuple. Le fait est que les peuples, on le voit en France avec les «gilets jaunes», ne comprennent plus l’Europe et prennent leurs distances. L’appétit pour le référendum, que l’on pratique abondamment en Suisse, est de plus en plus fort. Ne faut-il pas davantage écouter les peuples, y compris si cela remet en cause certains dogmes, comme celui de l’intégration communautaire?
Le populisme est d’abord une forme de découragement démocratique. Nos démocraties sont devenues folles et beaucoup de gens sont déboussolés. Mais arrêtons de sacraliser le peuple. En Europe, le peuple ne doit pas être le seul souverain! Ou, s’il l’est, il doit l’être comme tous les autres souverains: avec des limites, des bornes à sa toute-puissance. La démocratie a besoin de transcendance.
L’athée que je suis croit à la force des religions, à la force de l’inspiration, à ce qui dépasse les hommes. Si l’on répète: le peuple, le peuple, le peuple… on va tout droit vers une crise de civilisation. Le peuple a aussi ses caprices et les leaders démagogues flattent son bon plaisir.
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En France, la colère des «gilets jaunes» est loin d’être éteinte. Elle vous ébranle?
J’y vois surtout un inquiétant nihilisme. Je ne vois pas, au-delà des mesures sociales immédiates, ce que veulent ces manifestants. Je ne vois pas leurs leaders se battre pour la conquête démocratique de nouveaux droits. S’ils sont vraiment désireux de changer les choses, les «gilets jaunes» devraient participer en masse au grand débat national lancé par Emmanuel Macron. Cela s’appelle la démocratie. Dans Looking for Europe, j’entends défendre sur scène cette démocratie européenne.
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