D’habitude, ce sont les films d’horreur qui fichent la trouille. Là, c’est le public. « Annabelle », sorti la semaine dernière, est pourtant un film ultra-classique issu d’un genre né dans les sixties. Une poupée (forcément maléfique), une héroïne (forcément blonde), et au-dessus de la marmite, comme toujours, une pincée de bigoterie rédemptrice, des portes qui s’entrouvent en pleine nuit et des acteurs qui – c’est la règle suprême – n’allument jamais la lumière dans leur baraque passé minuit !
On aurait pu s’en contenter. Mais la poupée maudite a visiblement semé la zizanie dans les salles de plusieurs grandes villes : la presse relate des faits violents dans les cinémas de Marseille, Strasbourg ou Montpellier. Le film amènerait « une clientèle de jeunes pas facile », précise la direction du cinéma phocéen Le Prado. On parle de bastons généralisées, de sièges arrachés, d’urine joyeusement déversée. Une quasi-orgie païenne, en somme, célébrée par une jeunesse qui n’a pas lu Nietzsche mais qui est chaque jour par-delà le bien et le mal. Selon les témoins, à chaque apparition du fantôme ou de la poupée, les ados crient, insultent, sursautent à chaque claquement de porte, courent dans les travées, commentent à voix haute. Souvent, on parle de« débordements » et, « pour raison de sécurité », le film n’est même plus diffusé dans une série de salles. Ou comment une civilisation meurt lentement au milieu des pop-corn écrasés.
Le même phénomène se répète donc de plus en plus souvent, et l’amateur d’épouvante se souvient que lors des projections de « Paranormal Activity 4 », les mêmes violences avaient émaillé les projections. Assistant à la séance de cet opus, j’avais moi-même dû recadrer un peu sèchement quatre ou cinq jeunes derrière moi, qui partaient « en live » dès les premières images. C’était dans une petite ville de province et les jeunes avaient compris le message. Mais il est facile d’imaginer qu’avec un public issu de « quartiers sensibles », mon verbe ferme et diplomate n’aurait pas suffi. Regarder un film dans ces conditions est littéralement intolérable. Autant lire du Proust en écoutant Diam’s à donf. On peut comprendre qu’un grand nombre de spectateurs n’ait même plus envie de se déplacer. Comme toujours, on refuse d’affronter le problème, et les séances sont tout simplement… annulées.
Sans éducation, sans gêne, sans culture, sans aucune notion du respect de l’autre, la génération « moi je » est en sécession avec ceux qui demeurent dans la civilisation. Je n’oublierai jamais ce lycéen qui, à la sortie du film « Walkyrie », vu à Lyon, disait à son pote : « Putain, je croyais qu’ils allaient le tuer, Hitler ; j’suis deg’. »
Avec « Annabelle », les décideurs peuvent au moins couper le courant. Mais dès qu’on sort du cinéma ?
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