C’est l’affaire du jour : Fleur Pellerin n’a pas lu Modiano. Elle le dit. Saint-Germain-des-Prés glousse et se pâme. La belle affaire, comme si nos ministres étaient des gens cultivés !
Mettons tout de suite les choses au net : moi qui vous parle, je n’ai pas non plus lu Modiano. J’ai essayé : il m’est tombé des mains. Ennui mortel. Ça arrive. Mauvais moment, mauvaise rencontre… nous ne nous sommes pas trouvés. Et puis il y a belle lurette que je ne lis plus de romans, sauf historiques et sauf quelques polars velus quand je pars en voyage (c’est un rituel). Je préfère aux romans les essais qui affûtent l’esprit.
Donc, horresco referens, madame Pellerin n’a pas lu Modiano. Et pourtant, Fleur est une tête : l’ESSEC, Sciences Po, l’ENA… Une bête à concours comme on en croise tant sous les lambris de la République, traçant sa route dans le quartier des ministères. Conseillère référendaire à la Cour des comptes, déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Économie numérique sous Ayrault I et II, secrétaire d’État chargée du Commerce extérieur, de la Promotion du Tourisme et des Français de l’étranger sous Valls I, ministre de la Culture et de la Communication sous Valls II.
Ça ne laisse pas beaucoup de temps pour la contemplation. Ni la littérature. Il faut s’appeler Attali pour courir tout à la fois la politique, l’économie, le monde, les plateaux de télé et écrire chaque année deux essais et trois romans. Mais Attali est comme Shiva : il a 15 ou 16 bras et autant d’orteils pour tenir ses stylos.
On apprend que le ministre de la Culture a néanmoins déjeuné avec le prix Nobel de littérature. La presse suppute : le ministre « a donc devisé joyeusement avec lui entre la poire et le fromage sans connaître ne serait-ce qu’un titre de l’un de ses 28 romans ». De vous à moi, ça m’étonnerait car Modiano est un taiseux comme on en connaît peu. Pire qu’un ours : un silencieux pathologique. Je me souviens de Bernard Pivot, sur le plateau d’« Apostrophes », tentant vainement de tirer trois mots à un Modiano blême, le Goncourt se tortillant sur sa chaise, incapable de sortir une phrase. C’était d’un pathétique… Alors papoter avec Fleur Pellerin, vous imaginez…
Au 7e couplet de « La Marseillaise », on chante « Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n’y seront plus ». Frais émoulus de l’école, les promus de l’ENA entrent en effet dans la carrière et y passent leur vie en grenouillages d’appareils et de tendances, un jour au Commerce, le lendemain à la Culture ou à l’Agriculture, tentant vainement de prendre la place des aînés qui s’incrustent… Fleur Pellerin n’est pas Malraux, crapule hautement cultivée, pas plus que ceux qui l’ont précédée. Ce temps-là est révolu. Frédéric Mitterrand pouvait vaguement faire illusion, mais en gros mou qu’il est, il ne fut au milieu des requins de la politique qu’une misérable baudruche. Jack Lang soi-même, qui se rêve en Médicis, n’est jamais qu’un « communicant », VRP avant tout de lui-même qui confond culture, pince-fesses et poudre aux yeux.
Il y a belle lurette que les « gérants de la culture » ne sont plus des gens cultivés. Car se cultiver suppose de s’extraire du brouhaha ambiant, de laisser place à la curiosité, la réflexion, l’introspection… surtout, cela suppose d’y consacrer du temps, beaucoup de temps. En somme, c’est tout l’inverse du politique.
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