Et voilà ! C’est l’Europe comme on l’aime, l’Europe démocratique, généreuse, attentive aux souhaits de ses 500 millions de nationaux.

Cette Europe vient de faire une stupéfiante proposition. Chypre – que je connais bien pour y avoir vécu deux ans – est un pays aimable, direct, nature, sympa. Les Chypriotes sont naturellement accueillants et amicaux. Par malchance, ils sont en guerre ! Depuis 1974 et la honteuse invasion de la partie nord de l’île par les troupes turques, le régime appliqué est celui du cessez-le-feu sous contrôle des Casques bleus de l’ONU. Le pays est sectionné par une sinistre balafre, la « green line » ou « ligne verte », qui isole un gros tiers de l’île : au sud, la République de Chypre, État indépendant depuis 1960 ; au nord, la RTCN – République turque de Chypre du Nord – faux État fondé sur la brutalité militaire, reconnu par aucun pays au monde, à l’exception de la Turquie. On a cru « régler » la question chypriote en faisant entrer Chypre dans l’Europe et en lui faisant accepter l’euro : quelle erreur !

Il y a cinq jours, le Parlement européen a adopté un « rapport sur la Turquie » à une majorité de deux tiers de voix. Dans ce rapport, un coup de griffe sur le génocide arménien a agacé Erdoğan mais, pour faire passer la pilule, plein de gentillesses sur tout un tas de sujets, montrant que la Turquie est, décidément, un partenaire avec lequel il faut absolument compter. Dans ce concert de louanges, le président chypriote, Níkos Anastasiádis, a glissé une peau de banane : selon la fondation EurActiv, il a demandé que le turc soit ajouté aux 24 langues officielles de l’Union européenne, afin de favoriser la signature d’un accord sur la réunification de l’île de Chypre. Les eurodéputés se sont aussi déclarés « favorables à l’évolution de la République de Chypre vers une fédération bicommunautaire et bizonale ».

Nous avons, là, deux Scud pour le prix d’un : le turc est appelé à devenir l’une des langues officielles de l’Union européenne d’une part et, d’autre part, il faudrait acter définitivement l’invasion de l’île par les Turcs en 1974, acte contraire à tous les principes de droit international. La réunification concerne les Chypriotes et les Turcs. Laissons-les se débrouiller.

En revanche, la langue, c’est le bien commun de tous les États d’Europe, dont la France.

On savait que la langue turque était déjà utilisée au Conseil de l’Europe et à la Cour européenne des droits de l’homme. Mais, de là à devenir l’une des langues officielles de l’Union tout entière avant le terme de tout processus d’adhésion, il y a une sacrée marge. La Turquie, c’est 80 millions d’habitants, dont 79 millions de musulmans. On assiste à l’ottomanisation insidieuse de l’Europe dans le dos des Européens. Faut-il rappeler que 83 % des Français sont opposés à l’entrée de la Turquie dans l’Europe ? On nous refait le coup du traité de Lisbonne. Du loukoum dans les moules-frites ? Euh…non, merci !

 

Source : boulevard voltaire