L’un a écrit la Constitution, l’autre s’en est cru le gardien.

L’un, patriote maladif, rompit ses serments les plus saints dans l’affaire algérienne ; l’autre ne saurait rien trahir, son seul honneur s’appelle fidélité à Jacques Chirac.

L’un était le père, Michel ; Jean-Louis, l’autre, est le fils Debré.

Journaliste, j’ai suivi le premier vingt ans après le putsch d’Alger lors d’une campagne présidentielle désespérée. J’ai déjeuné plus tard avec le dernier à la mairie de Levallois, invité par l’obligeant Balkany. La République était grasse et fleurie comme une prairie normande, le menu copieux, le bordeaux vieux, le cigare dispendieux (c’est le côté Churchill du personnage), les convives digéraient heureux.

Michel Debré, quoiqu’il semblât tiré d’une tragédie de Corneille, adorait Labiche ; son fils paraît croqué par celui-ci, il a la componction innocente du clown bourgeois.

Un metteur en scène expressionniste lui mettrait un nez rouge, nous y perdrions, le sérieux fait tout.

Il occupa le perchoir de l’Assemblée nationale, présidait encore le Conseil constitutionnel en mars 2016, prêche la morale à la cantonade dans son dernier livre, Ce que je ne pouvais pas dire (c’est fou ce que souffrent les singes de Nikkō pendant leur vie politique) : il déplore notamment qu’« au sommet de l’État, certains se croient tout permis ». Cependant, il a tenté de franchir un barrage de police en intimidant un brigadier lors des manifestations contre la loi Travail. Il conduisait, pour faire ses courses, une voiture du Service de protection des hautes personnalités, sans les papiers du véhicule. Au policier qui lui expliquait qu’il devait respecter la loi, il répliqua : « Je suis de la maison. Vous devez me faire passer. »
 Mais le fonctionnaire, refusant les privilèges, lui demanda sa carte, qu’il n’avait pas, bien sûr, et l’affaire remonta au ministère.


Debré est un personnage classique des films d’horreur psychologique anglo-saxons, le clown méchant. Ce multi-contrevenant multi-profiteur se veut aussi défenseur pointilleux du droit. Ainsi condamne-t-il Sarkozy, coupable d’avoir tenté de se soustraire aux ukases des sages : cela rendrait l’ancien Président sympathique.

Juché sur les interprétations fuligineuses que le Conseil donne des préambules de nos Constitutions, Debré s’est appliqué à retoquer tout ce qui, dans les lois qui lui étaient soumises, transcrivait un peu la volonté populaire et transgressait ainsi le politiquement correct. Le gendarme de l’État de droit était sans pitié. Ni pudeur.

Croisant l’un de ses anciens collaborateurs dont il avait oublié qu’il était passé au FN, il lui proposa : « Venez donc prendre un café. » Puis, se rappelant la situation, il reprit : « Ça ne fait rien. Venez prendre un café quand même. De toute façon, vous ne pourrez rien, nous tenons tout. »

Sainte Simplicité ! « Tout » est ouvertement verrouillé par des flics politiques maquillés en juges. Jean-Louis Debré aura été, après Roland Dumas qui approuva les comptes irréguliers de Jacques Chirac pour valider son élection, le vigilant geôlier de la République. La République des vitres teintées, dont il tire bonne pitance et reconnaissance. Le garde-chiourme n’a plus, aujourd’hui, les clefs de notre soute aux galériens, mais il conserve les manières d’un homme important. Il en a le droit : nos lois dépendent de ces matons – de ces Caton à la mie de pain.

 

Source : bvoltaire