S’il faut en croire les faiseurs de l’opinion dominante – la seule que nous aurions le droit d’exprimer sans nous exposer à la malédiction sociale –, l’islam se divise en deux camps : le camp des terroristes, des radicaux, des fous furieux, des « énergumènes » qui, cela va de soi, n’ont « absolument rien à voir » avec le vrai islam, et le camp des modérés, des pacifiques, des doux, des démocrates qui ont tout à voir avec l’islam authentique, l’islam compatible avec la modernité.
Ceux qui n’ont rien à voir avec l’islam et tuent des innocents au nom d’Allah se comptent sur les doigts de la main, nous dit-on. Les massacreurs du 7 janvier n’étaient que trois. Peut-être quatre, si l’on compte la compagne de Coulibaly. Et même si l’on ajoute à ce quatuor les quelque cinq mille « candidats » ou participants actifs au djihad, la proportion des « illuminés » parmi la communauté musulmane française reste infime, n’est-ce pas ? Les modérés ne sont-ils pas infiniment majoritaires ?
Assurément, si l’on considère comme modéré le petit Abdel, 14 ans, qui déclare à propos de Charb :
Je n’ai aucune pitié pour lui. Il a zéro respect pour nous, les musulmans. Mais ce n’était pas la peine de tuer douze personnes. Ils auraient pu ne tuer que lui.
Ou la jeune collégienne voilée qui répond à son professeur :
Madame, on ne va pas se laisser insulter par un dessin du prophète, c’est normal qu’on se venge. C’est plus qu’une moquerie, c’est une insulte !
Et tous les adolescents de confession musulmane qui ont rechigné ou, pire encore, ont crié « Allah Akbar »lors de la minute de silence de jeudi.
Si l’on pense que le Bilal qui a écrit sur Twitter « Charlie Hebdo sa vs apprendre a dire que le coran c’est de la merde » ou que le Yacine qui a commis un « Perso m’en fou de Charlie Hebdo bien fait pour eux » sont des jeunes gens modérés, parfaitement en accord avec les valeurs démocratiques de la France, alors il est possible, en effet, que la raison l’emporte encore massivement sur le fanatisme au pays de Montaigne et de Voltaire.
Si les musulmans vivant et travaillant sur le sol français qui, apprenant l’assassinat méthodique de dix-sept innocents, n’ont pour d’autre réaction que « Dommage pour le pauvre Ahmed », « On ne va pas pleurer sur des blasphémateurs » ou « Quatre juifs de moins », si ces hommes et ces femmes qui ne ressentent pas la moindre empathie pour leurs compatriotes, et qui se réjouissent de leurs souffrances ou de leur mort, sont eux aussi des musulmans modérés, alors je veux bien croire qu’ils soient de loin les plus nombreux.
Mais évidemment, de cette « modération »-là, nous ne voulons pas. De cette sagesse armée jusqu’aux dents, nous avons raison de nous méfier et de nous défendre. Qui peut dire, aujourd’hui, combien d’Abdel, de Yacine et de Bilal grandissent dans la haine et le mépris de nos valeurs fondamentales ? Un jour viendra – et il sera trop tard – où toutes nos mains n’auront plus assez de doigts pour les compter.