Deux mois et demi après l'attaque aux cocktails Molotov d'un véhicule de police à Viry-Châtillon, en banlieue parisienne, la colère des flics n'est pas retombée. En Vaucluse comme dans la plupart des départements, la mobilisation s'est d'abord organisée via Facebook, avant de déboucher sur la création d'une association. Tenus au droit de réserve comme tous les fonctionnaires, les policiers vauclusiens en colère ont choisi un retraité des leurs pour présider leur Collectif libre et indépendant de la police (Clip 84). "Chez nous, il faut toujours attendre qu'un événement tragique se produise pour que ça bouge...", constate, fataliste, l'un des meneurs de la fronde. Acceptant notre sollicitation, il nous a fait rencontrer des collègues issus des commissariats d'Avignon, d'Orange, de Carpentras et de Cavaillon qui, comme lui, ont participé aux quatre rassemblements nocturnes qui ont émaillé l'automne devant le Palais des Papes. Des policiers "de terrain", ceux qui se relaient dans des conditions précaires pour assurer les missions de "police secours". La base de la pyramide hiérarchique, des sous-brigadiers et des brigadiers comptant entre 15 et 25 années de service que la résignation n'a pas encore gagnés. Pas totalement, du moins : "Quand je suis entré dans la maison, j'étais policier, aujourd'hui, je suis fonctionnaire de police", lâche l'un d'eux sur un ton de dépit. "Au mieux, on est démotivé, au pire, certains font un burn out, d'autres vont jusqu'au suicide...", prolonge un autre.
Et ce n'est pas la dérisoire injonction de "sourire" aux policiers récemment lancée à l'adresse des Français par le nouveau ministre de l'Intérieur, Bruno Le Roux, qui va rebooster leur moral. Le soutien du public, de toute façon, ils sont persuadés d'en bénéficier : "Les gens en ont marre de l'impunité. D'ailleurs, on reçoit beaucoup de messages sur les réseaux sociaux, et lors de nos manifs, les civils étaient presque plus nombreux que nous."
Agissant hors du cadre des syndicats, ils n'ont pas plus d'estime pour les politiques. Pour ces flics désabusés, les premiers, "subventionnés par le pouvoir pour assurer la paix sociale", "ne se battent que pour l'avancement et les mutations de leurs adhérents". Et reproduisent le jeu de rôles des seconds : "Les deux organisations majoritaires, Unité SGP-FO et Alliance, c'est comme le PS et Les Républicains. À chaque changement de majorité gouvernementale, l'un ou l'autre accroît son influence".
"Les gens en ont marre de l’impunité. D’ailleurs, on reçoit beaucoup de messages de soutien."
Des élus, ils craignent la récupération partisane. Des représentants de la droite et de l'extrême droite ont bien tenté une approche. "On les a refoulés !", assurent-ils en choeur. "Nous sommes apolitiques", insistent-ils. Et de clamer, conscient d'une conviction qui se développe dans l'opinion : "Nous, on ne veut pas de Le Pen, mais au moins quelqu'un qui a des c... !" Une figure qui ne serait ni Nicolas Sarkozy ("c'est celui qui nous fait le plus de mal") ni Christiane Taubira ("sa réforme de la garde à vue a provoqué un énorme malaise dans les rangs"). Les policiers en colère ne veulent plus de "la politique du chiffre" instaurée par l'ex-ministre de l'Intérieur et Président de la République, qui contraint leurs supérieurs. Tout comme ils rejettent les évolutions législatives adoptées sous le mandat de l'ancienne garde des Sceaux, qui "donnent toujours plus de droits aux délinquants, jamais aux victimes".
Désireux avant tout de "travailler dans des conditions dignes", les policiers frondeurs du Vaucluse rêvent entre autres d'un nouveau commissariat à Cavaillon : dans l'actuel, "mis en cause et victimes se croisent dans le même escalier... puisqu'il n'y en a qu'un !" Sans trop se bercer d'illusions, ils se verraient bien, aussi, conduire des véhicules plus aptes à leur faire remplir leur mission que leurs vieux Peugeot Partner en bout de course, "des bétaillères". Et pourquoi pas s'imaginer plus nombreux ? "A Orange, 33 000 habitants, la nuit, il n'y a plus qu'une patrouille de deux qui tourne. Huit ans en arrière, il y en avait quatre." Un fait divers récent dans la Cité des Princes vient illustrer ce renoncement : "Dans une cité, on s'est retrouvé face à une vingtaine de jeunes qui nous jetait des pierres. On a attendu que les renforts arrivent d'Avignon..."
La quasi-absence de formation est un autre motif d'exaspération : "On fait trois séances de tir avec trente cartouches par an. C'est une obligation minimale qui, dans les faits, est devenue un maximum. Forcément, on n'est pas à l'aise avec une arme." Mais dans ce torrent d'amertume, c'est peut-être "la nullité de la réponse judiciaire" qui se fait le plus entendre. "Je n'aime pas m'en prendre aux juges, consent un de nos interlocuteurs, ils font avec des moyens limités eux aussi. Mais il y a moins de risque à être délinquant que policier aujourd'hui."
Laurent Rugiero
Source : laprovence