En France, la criminalité, c’est comme la ratatouille, mais pas question de se renseigner sur les légumes qui la composent. Je m’explique. Au marché, on achète des tomates, des poivrons, des aubergines, des courgettes, de l’ail, des oignons… et tout ça, dans la gamelle, fait une belle ratatouille. Eh bien, chez nous, on a juste le droit de soulever le couvercle et de regarder ce qui mitonne.
Le 22 avril dernier, le quotidien Le Progrès a voulu transgresser la règle. S’appuyant sur le « rapport SIRASCO » de la police judiciaire, il a publié un dossier consacré aux crimes et délits commis dans le département, titrant en une : « Délinquance, criminalité organisée, qui fait quoi dans le Rhône ? » Et d’affiner le sujet en offrant au lecteur un classement en fonction des « nationalités impliquées » par type de délit. Bref, un œil sur ce qui entre dans la ratatouille de la criminalité.
Horreur !
Ce genre de révélation est en soi, on l’a très vite compris, un délit bien supérieur à tous ceux dénoncés dans le papier. D’autant que, bêtement, il faut le reconnaître, les infographistes maison ont opéré un étrange classement, rangeant dans la colonne nationalités des « Roms », des « toxicomanes », des gens « des cités de Marseille », des « Africaines », chacun avec sa spécialité : cambriolages, vols de ferraille, prostitution, etc.
Aussitôt, tollé des associations, dénonciation en incompétence de la part des confrères, railleries de Canal+, remontrances du gouvernement et des ligues de vertu, kilomètres d’insultes sur les réseaux sociaux, plaintes et représailles.
La direction a présenté des excuses, s’est lavé les mains, la bouche et le reste à l’eau de Javel, a mis les infographistes au piquet avant de se couvrir la tête de cendres.
Traumatisé, un pigiste a même tenté de laver l’affront « en rappelant notamment sur sa page un épisode héroïque : le quotidien s’est sabordé et a stoppé sa publication en 1942, tandis que la zone libre était occupée par les nazis, pour ne reprendre que deux ans après, au moment de la Libération », nous rapporte Rue89. Pauvre garçon, inutile de te déculotter ainsi, c’était peine perdue.
Et pourtant… Le Progrès est à la pointe, si l’on peut dire ; c’est même un phare de l’antiracisme, organisateur depuis 6 ans de la soirée « Diversité et entreprises » au cours de laquelle sont récompensées par des trophées des « initiatives locales en rapport avec la “promotion de la diversité” ». Un rachat par anticipation, en somme, des bons points dans la musette, un crédit de bonne conduite ? Que nenni. La soirée a bien eu lieu lundi 2 juin dernier, mais amputée des 17.000 euros qu’avait promis la région Rhône-Alpes. Sa vice-présidente, Mme Farida Boudaoud, chargée de la Culture et de la Lutte contre les discriminations, l’a dit : « Je ne me voyais pas cautionner cet événement après un article pareil. Pas possible. » Ben tiens.
Le MRAP, SOS Racisme, l’UEJF et quelques autres ont porté plainte contre le journal, accusé d’incitation à la haine raciale et de fichage ethnique.
Au fond, on lui reproche d’avoir mal saisi le concept de nationalité, et mal fait son boulot. En face de « vol de câbles électriques », il aurait fallu écrire Roumains et non Roms. Quant à la colonne prostitution, un petit coup d’œil au dernier rapport du Sénat aurait éclairé nos amis du Progrès. En effet, on peut y lire : « Au début des années 1990, 80 % des personnes prostituées étaient françaises. » […] Aujourd’hui, « 90 % des personnes identifiées en France comme prostituées sont de nationalité étrangère. Selon l’OCRTEH, celles-ci sont pour l’essentiel originaires de Roumanie, de Bulgarie, du Nigeria, du Brésil et de Chine. » Mais est-ce bien publiable ?