Alain, 40 ans, fait partie d'une brigade de la police nationale à Perpignan. Il a décidé, comme trente autres de ses collègues, de se mettre en arrêt maladie, afin de dénoncer la dureté de ses conditions de travail. Il fait part à RMC.fr de son grand malaise et de ses interrogations sur sa profession.
"Je suis en arrêt maladie pour troubles du sommeil. La direction centrale de la police s’est penchée sur les risques psycho-sociaux de la police nationale. Elle a bien détecté qu’il y avait un problème dans tous les commissariats: la police est fatiguée, et émet beaucoup d’arrêts maladie, notamment à cause d’un cycle horaire.
On a un cycle horaire '4-2': quatre jours de travail, deux jours de repos. Sur ce cycle de travail là, on a simplement 9 week-ends par an que l'on peut passer en famille. Nous travaillons les jours fériés, à Noël, le jour de l’an… Nos conjointes et nos enfants ne nous voient jamais ou très rarement. Après cela crée des discordes, des divorces, et plein de problèmes au sein de la famille. C’est extrêmement dur à gérer.
C’est un ras le bol général, il n’y a pas que le cycle horaire. Notre image est salie, notamment avec l’affaire Théo, même si les policiers n’ont pas encore été jugés. Après les attentats de Charlie Hebdo, en janvier 2015 on nous avait promis monts et merveilles: des effectifs, des véhicules, des armes, des uniformes, on devait tout avoir. Mais depuis, en fait on n’a rien eu.
"On est perdus"
Aujourd’hui, je me sens très mal dans mon métier. J’ai passé 17 ans dans la police, dont de nombreuses années à Paris. Je n’avais jamais pris un seul cachet d’antidépresseur ou pour dormir de toute ma vie. A cause de toutes ces épreuves qu’on nous fait subir, on en arrive là. C’est un tout: on ne nous fait pas confiance, on subit un management de plus en plus dur, on n’est pas équipés pour les violences actuelles, on n’est pas défendus par notre hiérarchie, en plus des cycles horaires qui détériorent la famille… On est perdus.
Nos locaux sont aussi complètement vétustes, nous n'avons pas de matériel, rien… Je me sens en danger tous les jours. On a une petite salle de repos où tous les tiroirs sont arrachés. Quand on mange, les souris passent dans nos jambes, dans les douches il y a des champignons… L’état des murs et des locaux de la police est très détérioré, avec beaucoup de prises électriques. C’est très dangereux.
"On est rien d'autre que des matricules"
La grogne des policiers n’a mené à rien. Le gouvernement nous a dit qu’on aurait une enveloppe de 250 millions d’euros. Lorsque les manifestations se sont terminées, on a appris que, finalement, on n'en bénéficierait pas. Il joue avec nous. On n’est rien d’autre que des matricules. Depuis l’époque de Nicolas Sarkozy, la politique du chiffre ne s’est jamais estompée. On pensait que ça changerait avec le gouvernement de gauche, mais on reste sur la même lignée. On nous oblige à faire des verbalisations, de l’activité… Ce qui nous débecte là-dedans, c’est qu’à force de vouloir faire du chiffre sans arrêt, avec énormément de pression, on commet des erreurs.
Je ne suis pas rentré dans la police pour faire du chiffre. Je voulais aider les citoyens, aider ceux qui sont dans le besoin, mais pas pour faire ça, surtout dans un tel contexte.
"Le métier ne nous fascine plus"
On est fatigués, on n’a même plus envie de venir travailler. On doit se lever à 3 heures du matin. A 4 heures, avant d’attaquer la journée, on prend un café entre collègues, mais plus personne n’a envie de s’y mettre. D'autant plus qu'à Perpignan, ce sont des policiers qui ont de la bouteille: la moyenne d’âge est de 43-44 ans. Mais le travail ne nous fascine plus. Quand on a une hiérarchie qui ne nous écoute pas, qui est dure, les collègues tombent.
J’ai des collègues qui se sont suicidés quand j’étais à Paris. L’administration étouffe ces affaires. D’ailleurs, on ne connaît pas les chiffres de ces suicides. Il existe des psychologues dans les commissariats, mais les collègues n’y vont pas, car ils n’ont pas confiance. Le moindre de nos faits et gestes est très surveillé, donc on n’y va pas parce qu’on a peur.
"Nos dirigeants ne sont plus des policiers mais des chefs d'entreprise"
Depuis des années, la violence a considérablement augmenté. Avant, on n’aurait jamais attrapé par la veste un policier national en lui crachant dessus ou en lui portant un coup de tête. Les jeunes ne nous respectent plus, même des adolescents de 13 ans nous mettent des coups de poing. Et nous, on n’est pas soutenus par la haute hiérarchie.
Nous avons des chefs de brigade avec lesquels on peut parler, avec nos collègues, mais si on en parle plus haut, ils s’en foutent totalement. Nos dirigeants ne sont plus des policiers, ce sont des chefs d’entreprise. Quand j’ai commencé, un commissaire était un policier. Il venait nous dire bonjour le matin, buvait le café et parlait avec ses effectifs. Aujourd’hui, le commissaire, on ne le voit jamais".